En 2006, le Conseil Régional de Bretagne annonçait son intention d’accompagner la mise en place d’une filière de coton biologique et équitable en provenance d’Afrique de l’Ouest. L’année précédente, à l’occasion du Salon international pour un Commerce Équitable de L’Île-Saint-Denis,  des membres d’Ingalañ rencontre le fondateur de Napam Beogo, structure historique du commerce équitable Burkinabé. Motivé par les échanges et la vision de Lassané Ouédraogo, nous avons échangé nos coordonnées respectives. Un jour, peut être…

Un jour, en effet, qui c’est prolongé une quinzaine d’année. Accueilli par Lasso (Lassané Ouédraogo) et l’équipe de Napam Beogo, les membres de l’association se sont succédé-e-s.  Nous avons appris à travailler ensembles. S’il reste encore à apprendre, le parcours nous a conduit à une actualité où se trouve l’essentiel des engagements d’Ingalañ, le programme Yam Wékré et la campagne Kengred Burkina.

2007, Penn Da Benn, d’un bout à l’autre

Notre point de vue

Lorsque l’on observe une filière incluant une matière première à son départ, on constatera que les richesses générées apparaissent principalement aux différentes étapes de transformation. C’est le cas pour le café, le cacao, …, le coton. Les prix bas de ces matières premières exotiques sont révélateurs d’une exploitation du Sud par le Nord. Les organisations du commerce équitable ont dans leurs principes pour objectif de développer des alternatives à cet état de fait. Pour autant, force est de constater que, les pays du Sud étant à la production des matières premières, force est de constater que la richesse produit se trouve principalement en aval des filières. Revenant notre sujet, seul 1% de coton Ouest Africain est transformé en Afrique de l’Ouest. Le jour où une productrice burkinabè de coton biologique pourra se payer un t-shirt bio-équitable n’est pas encore arrivé.

Au moins jusqu’au fil

Ingalañ a souhaité s’engager sur projet de filière coton bio-équitable de la Région Bretagne en s’impliquant sur la transformation du coton sur place. Par le projet Penn Da Benn, l’association œuvrait à son niveau pour la transformation du coton biologique burkinabè au minimum au stade du fil. Durant ces premières années, guidée et accompagnée par des partenaires locaux, Ingalañ a pu concrétiser quelques actions dont qui aboutir entre autres à la production de marinières à Quimper par la société Fileuse d’Arvor à partir de coton burkinabè filé en Côte d’Ivoire. L’acte essentiel aura été la mise en lien entre le maître tisserand breton Bruno Lesteven et les tisserand-e-s burkinabès. Ce dernier, dans le cadre d’une formation, a pu transmettre des techniques à 7 organisations membres du groupement Ivatex.

Vivre au Village

Un autre projet est venu se glisser lorsqu’Ingalañ a posé son sac au Burkina. Vivre au Village a été pensée Jo Le Guen, Après s’être investi pour faire comprendre à Total le mécontentement des breton-ne-s suite à la marée noire provoquée par l’Erika, le marin s’est intéressé aux alternatives aux carburants fossiles.

Le principe de Vivre au Village consistait à cultiver du jatropha, dont le fruit à un fort rendement en huile, sur des espaces non concurrentiels à la production vivrière, soit via des haies vives en bordures de champs. L’huile produite alimentait des moteurs diesel adapté à la bicarburation.

Ingalañ a hébergé ce projet qui a conduit à l’adaptation d’une moto-pompe et d’un groupe électrogène pour fonctionner à l’huile de Jatropha.

Tinga Neere

Les rencontres réalisées au fur et à mesure des missions, les échanges réguliers avec des organisations paysannes et autres associations locales engagées dans le domaine agricole ont amené Ingalañ à élargir sur champs d’actions.

Tinga Neere, Terre Meilleur en mooré, est un programme ayant regroupé les activités d’Ingalañ  au Burkina Faso, de 2012 à 2019,  pour le développement de l’agroécologie, la souveraineté alimentaire et un commerce équitable.

Pour ce faire l’association s’est appuyé sur des compétences et dynamiques de structures locales pour soutenir des techniques telles que le Système de Riziculture Intensive ou SRI, la plantation d’arbres légumineuses fertilitaires, soutenir  de filières biologiques et équitables entre le Burkina Faso, la Bretagne et l’Europe. 

L’agroforesterie

L’agroforesterie désigne l’association d’arbres et de cultures ou d’animaux sur une même parcelle agricole, en bordure de parcelle ou en plein champ. C’est en rencontrant l’APAF (Association pour la Promotion des Arbres Fertilitaires) que les membres d’Ingalañ pris conscience de la pertinence de cette approche agroécologique, plus particulièrement l’utilisation d’arbres fertilitaires.

Un arbre fertilitaire est une légumineuse comme le sont les pois, le soja, les lentilles ou l’arachide. Une plante légumineuse a parmi ses propriétés de fixer l’azote atmosphérique et d’en enrichir le sol en le transformant en composés assimilables pour les plantes. La plantation d’arbres fertilitaires a donc l’objectif de rendre les champs autonomes en azote, ce de manière pérenne

Une collaboration entre Ingalañ  et APAF Burkina Faso a eu lieu de 2012 à 2018. Celle-ci s’est a démarré dans le cadre d’une collaboration décentralisée entre la Région Bretagne et la Région du Centre (Ouagadougou et 6 communes périphériques). Les membres de 6 coopératives maraîchères ont reçu une formation de 3 ans 6 parcelles pilotes ont été équipées en arbres fertilitaires, haies plantations en plein champs et haies vives.

De 2017 à 2018, toujours en collaboration avec l’APAF Burkina Faso, un verger fruitier, un espaces maraîcher équipé d’arbres fertilitaires et une haie vive ont été mis en place sur la ferme de Yélémani à Loumbila. Aujourd’hui, la création de pépinière, la plantation d’arbres et leur entretient fait partie des activités au programmes des journées pédagogiques se déroulant à Loumbila et Pabré dans le cadre du programme Yam Wékré.

Le Système de Riziculture Intensive

Le Système de Riziculture Intensive ou SRI est une technique culturale rizicole agroécologique dont les principes généraux sont une utilisation optimisée de l’eau et la transplantation individuelle des jeunes plantules. Le temps de pépinière est plus court (15 jours au lieu de 40 jours dans les pratiques courantes). Les plants de riz doivent être repiqués rapidement,l e sol des rizières étant maintenu humide et non continuellement saturé en eau.

Le fait de repiquer dans la boue plutôt que dans l’eau permet de travailler à l’aide d’un cordeau et d’assurer un espacement des plants de riz optimale pour permettre une meilleure croissance des racines et du feuillage et pour que toutes les feuilles soient actives sur le plan de la photosynthèse. Les rendements  par cette technique agroécologique sont spectaculaires :  une production multipliée par 2,5 à 3 tout en économisant 50% de l’eau et 90 % des semences nécessaires .

Depuis 2012, Ingalañ collabore avec l’association burkinabè AMAPAD, introductrice de la technique SRI au Burkina Faso.  Cette collaboration  a permis la réalisation de 6 formations dont la dernière c’est inscrite dans le cadre du programme Yam Wékré qui introduit le riz national et biologique dans cantines d’écoles primaires rurales.

Filières biologiques et équitable

Soja biologique

Durant les 3 premières de son lancement, Ingalañ a soutenu et participé à la création d’une filière de soja biologique et équitable entre le Burkina Faso et la Bretagne. Démarrée en 2012, construite et développée par Napam Beogo, elle implique aujourd’hui plus de 10 000 paysans et paysannes. Dès le départ, avant le semi de la première graine, l’objectif de cette société burkinabé était de s’appuyer sur cette filière à l’export pour développer des activités agricoles et agroalimentaires biologiques locales.

Lait et pâtes de soja, fermes maraîchères, unité de transformation, pâtes d’arachides et de sésame bio et bien d’autres produits à des prix accessibles sont aujourd’hui une réalité réalisée par l’activité local sans la moindre « aide au développement ». Napam Beogo signifie Espoir de Demain en mooré.

Riz bio-équitable

Depuis le démarrage de la collaboration entre AMAPAD et Ingalañ pour le soutien du riz national par le développement du Système de Riziculture Intensive, les deux associations ne cachent pas leur objectif d’obtenir que technique rizicole devienne un programme national. Les multiples changements survenus dans la gouvernance du pays oblige à la patience. Mais d’allier la persévérance burkinabé à l’entêtement breton finira par payer.

Parallèlement, dans une même démarche de valorisation de riz burkinabé, les deux partenaires construise pas à pas une filière rizicole biologique et équitable Burkina-Bretagne. Lorsque celle-ci sera effective, elle sera la première filière de riz Afrique Europe. Celle-ci sera avant tout au service de la filière locale pour un riz biologique consommé au Burkina à un prix populaire.

Résistance aux OGM

Les premiers essais de coton OGM ont démarré discrètement au Burkina Faso, en 2001, en violation de la convention sur la diversité biologique de 1992 et le protocole de Carthagène sur la biosécurité de 2000. Monsanto et les firmes de biotechnologies utilisent depuis ce pays comme un cheval de Troie pour essaimer les OGM en Afrique de l’Ouest.

Une entrée des OGM par le Coton Bt

Les OGM ont été introduits officiellement au Burkina Faso en 2003, précisément dans les exploitations agricoles de Farakoba (Bobo-Dioulasso) et Kouaré (Fada N’Gourma). Les premières distributions importantes de semences de coton OGM de type Bt, ont eu lieu en 2008. Bt, les initiales de Bacillus Thuringiensis, la bactérie dont le gène insecticide a été intégré au génome du coton, rendant la plante elle-même insecticide pour ceux qui se risqueraient à la consommer. Au Burkina Faso comme d’en d’autres pays, le coton est aussi très utilisé dans l’alimentation humaine via ses graines qui sont consommées brutes ou dont on extrait une huile alimentaire.

En 2008 donc, 8500 hectares sont alors ensemencés de cette « merveille » de biotechnologie. Grâce à la complicité de l’ancien gouvernement de Blaise Compaoré et une implication directe du quasi unique syndicat cotonnier UNPCB, ainsi que des sociétés privées comme la française Géocoton (ex-Dagris), 70 % du coton Burkinabè était OGM en 2012.

En 2013, à l’occasion de l’organisation du Mamm Douar 2013 à St Nolff (Bretagne Sud), Ingalañ invite Ousmane Tiendrébéogo le président du Syntap, un syndicat paysan burkinabé engagé dans les résistance aux OGM. D’autres partenaires burkinabès sont également présents. Constatant la dévastation des programmes de productions de coton biologique, nous prenons conscience que d’agir pour le développement d’une agriculture biologique sans s’investir contre la progression des OGM était un chemin risqué. Ensembles, nous prenons la décision de rejoindre le Syntap dans son combat contre les OGM au Burkina Faso.

En décembre 2014, alors que la firme ne peut que constaté l’échec, tant agricole qu’économique, du coton OGM Bt, Monsanto annonce que le maïs et le niébé OGM sont à l’étude et bientôt prêt. Et d’ajouter que le cotonnier OGM serait prochainement « amélioré » pour le rendre également « Roundup ready », soit résistant au glyphosate, herbicide radical mis au point par Monsanto    

Réunies en février 2015 à Ouagadougou, le Syntap, Napam Beogo, Yélémani, Autre Terre et Ingalañ créent le Collectif Citoyen pour l’Agro-Ecologie ou CCAE, dont la première action sera l’organisation d’une marche contre Monsanto et les OGM en mai de la même année. Cette manifestation se déroulait dans les cadres des marches mondiales contre la multinationale de l’agrochimie dans lesquelles s’inscrivait également une marche à Rennes, connectée à celle de Ouagadougou.

En 2016, le CCAE organisait les Rencontres Internationales des Résistances aux OGM dans la capitale burkinabè. Une deuxième édition des RIR OGM eut lieu l’année suivant à Lorient

La culture du coton OGM a été stoppée en 2016 au Burkina Faso. Aucune culture de végétaux organiquement modifiés n’a eu lieu depuis. La société civile burkinabé a su bloquer les projets de la transnationale de l’agrochimie mais la vigilance reste de mise.